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Demain, je serai debout sur mes jambes.
Je lui ferai la surprise. J’ai travaillé dur. Ça n’a pas été facile. Demain, pour lui, pour moi, je serai debout.
Il viendra comme tous les jours après l’école. Comme tous les jours, je l’attendrai assis dans mon fauteuil. Il s’approchera, le sourire aux lèvres. Il montera sur mes genoux pour me faire un câlin, me dire bonjour. Il s’installera et nous roulerons ensemble vers l’une des tables libres du grand réfectoire. Et là, comme tous les jours après l’école, il prendra son goûter en me racontant ses histoires d’enfant. Ensuite, il se lèvera pour s’asseoir sur la chaise à côté de moi. On fera les devoirs. Puis, comme tous les jours après les devoirs, nous irons dans le parc pour nous promener. Il voudra faire la course. Lui contre le fauteuil, mes jambes roulantes comme il dit. Mais demain, on ne fera pas la course. Demain, je me lèverai et je marcherai à ses côtés pour aller faire notre promenade dans le parc. Demain, ce sera mon cadeau pour son anniversaire.
Demain, je serai debout sur mes jambes.
Il y a 11 mois, je me suis réveillé dans cette chambre blanche, des tuyaux partout, dans le nez, dans les bras, des électrodes sur le torse, les bip-bips en unique fond sonore. J’ouvre les yeux, il fait sombre. Je ne peux pas bouger, je suis coincé. Je m’agite, je ne comprends pas.
Où suis-je ? Qu’est-ce qui se passe ? Il y a quelqu’un ? Répondez-moi…
J’angoisse, les bip-bips se font plus pressants et me stressent encore plus. Est-ce que quelqu’un m’entend ? Je n’arrive pas à parler, les sons ne sortent pas. Même pas un murmure. Mes lèvres sont collées l’une à l’autre. Je veux hurler. Qu’est-ce qu’on m’a fait ? QU’EST-CE QU’ON M’A FAIT ?
La porte s’ouvre. La lumière. Je suis ébloui. Je cligne les yeux. Une voix. Je ne la connais pas. Elle se veut rassurante. « Calmez-vous, tout va bien, vous venez de vous réveiller. Tout va bien. » Une main touche mon visage, ma joue. Un gant humide caresse mes lèvres sèches. Je peux ouvrir un peu la bouche. Je veux articuler. La voix m’en empêche. « Non, ne parlez pas. Reposez-vous. Tout va bien. »
Mes yeux se ferment, je n’arrive pas à les garder ouverts. Je ne comprends pas. Que m’arrive-t-il ? Je sens que je pars, je m’enfonce. Je m’endors. La main inconnue sur mon visage ferme mes yeux. Elle se veut rassurante.
Demain, je serai debout sur mes jambes.
Quelques heures plus tard, je me réveille. J’ai mal à la tête. J’ai soif. Une main dans la mienne. Mes yeux clignent pour s’habituer à la lumière du jour. Il fait jour. Ce n’est pas ma chambre. Ce n’est pas chez moi. Où suis-je donc ? Cet endroit, je ne le connais pas. La main dans la mienne se resserre tendrement et une autre main se pose sur mon bras. Je suis du regard les bras qui partent de ma main, de mon bras. Je la reconnais. Elle me sourit. Elle pleure aussi. Je lui souris. Mes lèvres sèches me font mal, mais je lui souris. Je suis content de la voir. Ma femme. J’entrouvre la bouche pour parler, mais les mots ne sortent pas. « Chut, ne dis rien », me dit-elle doucement. Elle libère sa main de la mienne. Elle prend un mouchoir qu’elle imbibe d’eau et le met sur ma bouche. Je tète cette eau bienvenue qui fait du bien à mes lèvres gercées. Je baisse les yeux et les rouvre aussitôt pour lui dire merci. Je me sens fatigué. Je ne sais toujours pas ce que je fais ici. Mais je suis rassuré. Elle est là, à mes côtés. Je ferme les yeux. Je me rendors.
Demain, je serai debout sur mes jambes.
Je m’agite. Je me réveille en sursaut. En hurlant. Mon cri de terreur m’a réveillé. Il fait noir. À L’AIDE. Je veux bouger, me lever, sortir. Je n’y arrive pas. Pourquoi est-ce que je suis attaché ? C’est un cauchemar. Je ne suis pas encore réveillé. Il faut que je me réveille. Je DOIS me réveiller. La porte s’ouvre. La lumière dans le couloir. Une femme en blanc arrive. « Restez calme, ça va aller. Vous avez dû faire un mauvais rêve. Tout va bien. ». Un mauvais rêve. Quelle blague ! J’ai cru que je mourrais.
Demain, je serai debout sur mes jambes.
Je suis sur la route, une départementale très fréquentée. Dans ma voiture. Il fait nuit. Je rentre de réunion. Il n’est pas très tard, à peine un peu plus de dix heures du soir. Je suis bientôt arrivé. Comme toujours sur cette route, de jour comme de nuit, des camions. Encore des camions. Je roule. 90 km/h. Bientôt ma sortie. Une courbe et… Horreur.
Des phares en face de moi. Je suis ébloui. Un camion qui en double un autre sur la ligne blanche continue. Ils sont côte à côte et moi en face. Ça ne passera jamais, il n’y a pas de bande d’arrêt d’urgence. J’écrase le frein pour arrêter la voiture en la dirigeant vers la droite. Limiter les dégâts. Il faut limiter les dégâts. Le camion qui se fait doubler, serre à droite le plus possible, freine également. Le fou du milieu accélère, tente de se rabattre. On se frôle, ça va peut-être passer finalement. Le bout de sa longue remorque dérape un peu de cette manœuvre très osée. Accélérer, freiner ? Hésitation. La remorque dérape un peu plus. Elle est lancée derrière son tracteur à pleine vitesse. Le chauffeur ne la contrôle pas. Elle dérape totalement. Impact. Elle fauche l’avant du capot de ma voiture. Sa vitesse me fait tournoyer. Ma voiture part en tête-à-queue. Impossible de la maintenir. Perte d’adhérence. Plus de contrôle. L’arbre. C’est la fin.
Demain, je serai debout sur mes jambes.
10 mois de rééducation.
Demain, c’est son anniversaire.
Demain, je lui ferai la surprise.
Demain, je lui montrerai que mes jambes sont d’acier.
Demain, je marcherai à ses côtés pour notre promenade dans le parc.
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