Enfant, elle me fascinait. Colosse au bord de la ville, différente et pourtant toujours la même. Solide, fière, étrange, dangereuse…
La montagne bleue. Le petit nom que moi, je lui donnais, vu par mes yeux d’enfant.
La montagne bleue, de son vrai nom le Néron, comme cet empereur romain cruel et fou, qui fait partie de la Chartreuse.
La montagne bleue. Elle aussi peut être cruelle parfois. Chutes de pierre, crevasses, pleines de trous, de grottes. Le promeneur doit faire attention. Et pas que le randonneur d’ailleurs. Quand Néron se fâche, même les maisons situées juste à ses pieds doivent faire attention à ne pas recevoir une pierre sur le coin du nez ou du toit.
La montagne bleue. Chacun lui voit une forme différente. De chez moi, c’est un vaisseau qui décolle, de chez ma grand-mère, un reste de pied de dinosaure, et pour d’autres à un endroit différent encore un bateau dont la coque est renversée, une femme qui est couchée, un chapeau… Où que l’on soit dans l’agglomération grenobloise, le Néron est vue sous des formes différentes. Toujours le même et pourtant constamment différent.
La montagne bleue. Le matin au lever du jour, le Néron est vert clair. Le soleil sort de derrière lui. Il est grand, empereur avec une couronne de lumière. Puis au fur et à mesure que la journée avance, sa teinte fonce. Comme si les arbres qui poussent sur lui changeaient de couleur pour devenir plus foncer. Et en fin de journée, quand le soleil descend derrière le Vercors, il devient bleu. La montagne bleue, ma montagne bleue.
La montagne bleue. Elle a souffert. Été 2003, canicule. Comme tous les êtres vivants, elle a soif, elle a chaud la montagne bleue. Elle est sèche, trop sèche. Deux éclairs sont venus la frapper. Étincelles, fumées. L’incendie. Elle brûle la montagne bleue. Elle flambe de bas en haut. Ses arbres, sa végétation, ses couleurs s’envolent en fumée dans le ciel. Elle pleure des cendres. Elle a mal la montagne bleue. Les canadairs sont à l’œuvre pour la soulager.
La montagne bleue est défigurée. Elle est grise, triste. Elle souffre. Elle laisse alors s’échapper ses pierres sur les habitations à ses pieds. Ce n’est pas contre nous, mais elle est incapable de les retenir plus longtemps. Elle n’en peut plus. Elle a besoin de repos, de se reconstruire. Aujourd’hui, bien des années après, on aperçoit encore quelques cicatrices que les flammes ont laissées sur elle.
La montagne bleue, vu par mes yeux de grande enfant, majestueuse, surplombant la capitale des Alpes et qui continuera pendant des générations faire rêver et parler.
Ma montagne bleue.