BLOG DE THOTALEMENT MOTS
Un soir d’hiver, je passe dans la rue de la « Librairie du coin », comme toutes les fins de journée pour rentrer à la maison.
Mais ce début de nuit n’est pas une soirée comme toutes les autres. Ce soir, c’est différent.
D’habitude, la lumière orangée de la rue éclaire mes pas. Une rue en sens unique, courte, un trottoir étroit, une bouche d’égout au milieu du macadam. Une rue comme toutes les autres, une rue normale, dans une petite ville de campagne classique, un soir d’hiver banal.
Mais ce soir, les lampadaires au style ancien fonctionnent mal. Ils clignotent. Ils ne savent pas s’ils doivent s’allumer ou s’éteindre. Ils hésitent entre ombre et lumière.
Impression bizarre. Cette lumière hésitante et un ciel sans lune donnent un aspect peu rassurant à cette rue que je connais pourtant bien.
Puis tout à coup, la nuit sombre. Les lampadaires viennent de prendre leurs décisions. Ils s’éteignent pour de bon. Pas un brin de lumière. Seule dans cette rue, personne devant, personne derrière.
D’instinct, j’accélère le pas, un brin angoissée.
Je marche quand tout à coup, je vois une faible lumière au niveau de la « Librairie du coin ». Y a-t-il encore quelqu’un ? Le propriétaire a-t-il oublié d’éteindre une lampe ? Je me pose des questions et pourtant cette lueur me rassure, dans cette rue sombre.
Mais cette lumière bienveillante vacille, tremble.
J’arrive devant la vitrine de la « Librairie du coin » et…
Je tente de fuir, mais la peur me fige. Je suis effrayée et en même temps passionnée par ce que j’observe.
À l’intérieur de la librairie, spécialisée en ouvrages anciens et historiques, que vois-je ?
La lueur, cette lumière qui tremblote, vient d’eux… des êtres sortis d’une autre époque, d’un autre temps. Ils sont… immatériels, transparents… mais en couleur.
Je reconnais Jules César, avec ses lauriers, qui est en grande conversation avec Napoléon Bonaparte, portant son éternel « petit chapeau », surnom donné à son bicorne agrémenté de sa cocarde. Ils se tiennent devant une des tapisseries murales de la librairie représentant une bataille menée par la cavalerie lors de la guerre de Cent Ans. Napoléon se gratte la tête et il fait tomber son bicorne. César, grand empereur, se baisse pour le ramasser. Au lieu de le rendre à son propriétaire, il le met sur sa tête et donne à Napoléon ses lauriers. Les deux se regardent et partent dans un éclat de rire avant de revenir subitement sérieux devant la tapisserie.
Il y a aussi Louis XVI, qui a encore sa tête sur les épaules, et qui se promène avec Marie-Antoinette, une foule de dames de compagnie et de valets les suivent quelques pas en arrières. Ils se baladent entre les rayonnages en bois de chêne comme ils le feraient dans les jardins de Versailles. Ils rencontrent au cours de leur parcours monsieur Danton en discussion avec Monsieur Robespierre. De quoi parlent-ils ? Mystère. Ils ont l’air de mieux s’entendre ici que dans les livres d’histoire qui leur sont consacrés. Ils rient à gorge déployée.
J’aperçois également Louis XIV, éternel Roi-Soleil, qui descend les escaliers en bois, majestueux et saluant de la main une foule invisible.
Il y en a d’autres encore dont j’ignore le nom. L’un d’entre eux me salue en passant près de la vitrine.
Je me frotte les yeux, je rêve. C’est impossible. Je fais un tour sur moi-même. Je regarde de nouveau dans la librairie. Ils sont bien là. Je deviens dingue.
Là, dans cette librairie de vieux livres, au décor ancien, comme arrivant de nulle part, des hommes et des femmes qui ont fait la grande Histoire de France et d’Europe flânent et discutent ensemble. Des spectres, des ectoplasmes, des lueurs…
Je ne peux y croire, les fantômes n’existent pas. Et pourtant, je reste interdite devant le spectacle qui se déroule sous mes yeux.
Un bruit derrière moi. Je sursaute. Je me retourne prestement. Rien. Ni à droite ni à gauche. Peut-être un animal. Je commence à paniquer seule dans cette rue, dans le noir, avec ces êtres venus du passé. Il faut réagir. Il faut fuir…
Le noir de nouveau plein, entier. Et leurs lueurs… disparues
Dans la « Librairie du coin » rien, plus rien, seulement des livres anciens. La lumière orangée, rassurante des lampadaires qui éclaire mes pas est revenue. Je suis seule dans cette rue, un soir d’hiver. Je frissonne.
20 h 33…
Nouvelle écrite pour le partage par Thotalement Mots