BLOG DE THOTALEMENT MOTS
Nouvelle écrite dans le cadre d'un appel à texte sur la violence faite aux femmes. Vous pouvez retrouver tous les auteurs dans le recueil collectif : Dévoilements aux éditions Pangolin. Parution 2020
Ce texte est ma participation.
- Bonsoir Chérie.
- Bonsoir, répond-elle poliment.
- Eh bien ! dit-il d’un ton sec,
tu ne viens pas embrasser ton petit mari adoré ?
- Si, si bien sûr, j’arrive. Je finissais de me laver les mains, répond-elle doucement en arrivant vers son mari les yeux baissés.
Elle lui effleure les lèvres pour l’embrasser.
- Ce n’est pas un baiser ça. Recommence, lui ordonne-t-il le regard sévère.
Elle regarde par terre. Elle lève la tête vers lui.
Elle approche sa bouche de la sienne. Elle ouvre ses lèvres. Il lui attrape les cheveux et lui enfourne sa langue jusqu’au fond de sa gorge. Elle a le cœur au bord des lèvres. Il la repousse sauvagement. Elle manque de tomber à la renverse.
- Ah ! c’est mieux. C’est comme ça qu’une femme dit bonjour à son mari quand il rentre du travail, dit-il d’un ton satisfait, le regard mauvais et le sourire méchant.
Il ôte sa veste et la tend à sa femme. Il reprend le ton dur :
- Tu ne me demandes pas comment s’est passée ma journée ?
- Si. Comment s’est passée ta journée ? dit-elle timidement.
- Tu as peur de moi ou quoi ? Tu parles tellement doucement que je t’entends à peine, la réprimande-t-il.
- Non ! Quelle idée ! Je n’ai pas peur de toi, répond-elle avec un sourire effacé et forcé.
- Ah tant mieux, j’ai cru. Je t’ai acheté un cadeau. Tiens, dit-il d’un ton mielleux en lui tendant une boite.
- Merci, souffle-t-elle en baissant les yeux. Mais je ne le mérite pas.
- Si bien sûr que si. Tu es ma femme. Ouvre-le.
Elle ouvre la boite, doucement. Ses mains tremblent. Elle découvre un vêtement ou plus exactement une robe. Son mari lui a acheté une robe. Une robe verte. Il sait pourtant qu’elle déteste le vert et que cette couleur ne lui va pas. Elle se force à sourire.
- Merci, dit-elle.
- Va l’essayer que je vois comment elle te va, lui ordonne-t-il en lui montrant la chambre de la main. Et dépêche-toi.
- D’accord, souffle-t-elle en se précipitant dans la chambre. Elle ne ferme pas la porte, son mari l’a enlevée il y a longtemps. Il tient à garder à un œil constant sur elle, ses faits et ses gestes.
Elle retire ses vêtements pour passer la robe. La robe verte que vient de lui offrir son mari.
- Dépêche-toi un peu, il ne faut pas cent ans pour mettre une robe tout de même, s’énerve-t-il dans l’autre pièce. Et maquille-toi, tu ne ressembles à rien avec ta figure toute blanche et délavée. On dirait une morte vivante. Mets du parfum aussi. Celui hors de prix que je t’ai acheté pour Noël, tu sentiras meilleure. Tu pues.
Elle s’exécute sans joie, sans envie. Elle l’entend, il tourne en rond.
Il ouvre la porte de placard. Il prend une bouteille de whisky. Il la débouche. Il boit au goulot. Pourquoi s’emmerder à sortir un verre ? C’est meilleur comme ça de toute façon, l’alcool n’a pas le temps de s’évaporer. Il regarde sa femme dans la chambre. Il voit les bleus qui ornent son corps nu. Ils sont devenus verts eux aussi. Presque de la même couleur que la robe. Quelle ironie !
Une tache, un coup. Une nouvelle rasade. Il ressent une tension dans son bas ventre quand il pense à ce moment. Ce moment où il la tire par les cheveux et qu’il la jette à travers la pièce. Et cet hématome-là, sur le dos son épouse, c’est le coup de pied qu’il lui donne pour l’allonger à terre. Encore une rasade. Il bande quand il la renverse sur le dos et qu’il la roue de coups de pied en l’insultant. Il atteint carrément l’extase.
Elle sort de la chambre.
- Ah enfin ! Tu en as mis du temps. Laisse-moi voir comme tu es laide. Le vert ma pauvre vieille ne te va vraiment pas, lui crache-t-il au visage avec haine. File à la cuisine. On a des invités ce soir. Je veux un repas digne pour mes amis. Et pour une fois essaie de sourire et d’être heureuse quand ils seront là. Tu me fais honte.
Elle veut répondre, mais la gifle s’abat sur son visage. Il la bouscule. Elle tombe. Un coup de pied dans les côtes. Elle est à quatre pattes, elle s’enfuit en se relevant courbée vers la cuisine. Elle ferme la porte derrière elle. Il lui hurle des obscénités, des horreurs.
Elle attend un peu. Elle ne l’entend plus. Elle ouvre la porte. Il est assis dans son fauteuil. Le pantalon sur les chevilles. Il s’est soulagé. Il s’est calmé. Elle s’arrête devant lui. Se tient face à lui. Elle attend qu’il la voie. Quand enfin c’est le cas, il lui aboie :
- Qu’est-ce que tu fous là ? Tu es censée faire la cuisine dans ta magnifique robe verte.
Elle ne répond pas. Elle tient un long couteau à la main. Il le remarque. Il rit à gorge déployée et méchamment lui balance :
- Qu’est-ce que tu comptes faire avec ton couteau ? Me tuer ? Tu n’as pas le cran pour ça. Dégage de ma vue et va faire ce que je t’ai demandé, sale garce.
- Non, je ne te ferai pas le plaisir de te tuer. Mais c’est terminé, dit-elle avec une voix remplie de l’énergie du désespoir, le regardant fixement dans les yeux.
Il la regarde bouche bée. Il n’en croit pas ses oreilles. Elle ose lui répondre à lui, le maître des lieux.
Elle lève le couteau, s’approche de lui…
Il reçoit un poids mort sur lui, toujours assis dans son fauteuil.
Sa femme lui est tombée dessus.
Elle s’est tranchée la gorge.
Il a son sang sur les mains.
Les effluves de son parfum parviennent jusqu’à lui.
Magalie Duc-Maugé